Gaëtan Vannay, journaliste, reporter, « smooth operator », …

Gaëtan Vannay, journaliste, reporter, « smooth operator », …

Un ancien élève ... Gaëtan Vannay | Journaliste, reporter, "smooth operator"

Tout a commencé par le métier de journaliste. Gaëtan Vannay est en plus aujourd’hui entrepreneur et consultant. Hier, il fut reporter de guerre et ancien chef du bureau international de la RTS-radio.

Journaliste dans un monde en ébullition. En cela rien de nouveau. La multiplication des canaux de communication et le développement des réseaux de transport donne peut-être une image biaisée de notre monde le faisant apparaître plus petit. Les conflits semblent alors d’autant plus proches et plus fréquents. Parmi les métiers qui mesurent le pouls du monde, il y a celui de journaliste et en particulier celui de reporter en zones de conflits.

Alyca-ancien-élève-Saint-Maurice_Gaëtan-Vannay-photo-par-Nicolas-Righetti-
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Gaetan Vannay, « a smooth operator » selon ses pairs pour sa capacité à agir en souplesse pour parvenir où il le souhaite, là où d’autres ne sont pas allés, vit aujourd’hui entre la Suisse et la Tunisie. Il co-dirige une start up active dans la gestion de l’information de sécurité (ww.securaxis.com), qui a notamment l’ONU comme cliente, il travaille comme consultant international et formateur en matière de communication liée à la sécurité humaine, et il œuvre comme conférencier. Auparavant il a été correspondant de guerres, chef de la rubrique internationale à la RTS. Autour d’un repas asiatique, il est revenu sur son parcours à la radio et sur ses voyages à Neuchâtel, Moscou, Londres, ….

Au Collège, quelle filière aviez-vous choisie ?

Gaëtan Vannay : j’avais opté pour la section scientifique.

Pourquoi ? Le goût des sciences ?

Une orientation défaillante. J’avais de très bonnes notes en math au cycle d’orientation, donc logiquement pour tout le monde, et donc pour moi, je devais aller en scientifique. Ce raisonnement simpliste n’a pas facilité l’obtention de ma matu, ce fut par les poils. Disons que les maths ne sont pas exactement les mêmes entre les deux niveaux. En conséquence, les notes ne furent pas les mêmes non plus.

Comment êtes-vous tombé dans le journalisme ?

A la fin du collège, je savais que ce serait le journalisme. Mes parents m’ont raconté que déjà petit, je leur disais que je serai journaliste. Moi je ne m’en souviens pas. Donc en sortant de St-Maurice, j’ai pris la direction de Neuchâtel et de son université. Même si mon prof de français de St-Maurice m’a affirmé que je ne pourrais jamais être journaliste, car mes dissertations n’étaient pas de son goût.

Une fois à Neuchâtel, le Collège, vous a-t-il manqué ?

Non (rires). Sortir du Valais. J’en avais autant envie que de vivre en toute indépendance. Il faut rappeler que Neuchâtel, en ce temps-là, connaissait une vie estudiantine et nocturne … à peine descriptible. Seule ville suisse à permettre aux clubs de rester ouverts jusqu’à l’aube, on y venait de Zurich, les Romands se rendaient « in corpore » pour y faire la fête. Moi, en plus de mes études, je travaillais comme serveur et barman pour financer mes études et mes premiers voyages. Ces années furent vraiment chouettes.

Vous aviez donc déjà choisi votre métier, non ?

Oui. Tout-à-fait. J’ai pris, en toute logique, géographie humaine, anglais et journalisme.

Pourquoi la géographie humaine ?

D’abord la composition de ces trois branches me permettait d’éviter les cours de Latin. Et la relation de l’homme à son territoire m’intéressait. Cela rejoint le journalisme tel que je le pratique sur le terrain. Dans les conflits géopolitiques, l’aspect du territoire est indissociable de l’aspect humain : les origines, le pouvoir, la culture, la relation à l’espace, etc. Aujourd’hui, l’interconnectivité qui change la relation au territoire, à la frontière, à la distance, …

Et à la suite de vos études, comment avez-vous entamé votre carrière ?

Je n’ai fini, ni l’anglais, ni la géographie, car, après avoir achevé le certificat de journalisme, j’ai trouvé une place de stage à la radio locale, RTN, qui a débouché sur un temps partiel (60%) ; je croyais naïvement que je pourrais combiner et le travail de journaliste et mes études ! J’ai eu tort.

Puis, au terme de mon stage, il y a eu Couleur 3 qui m’a proposé une place. En fait, une des animatrices à RTN est partie à Couleur 3 qui, par la suite, cherchait un journaliste ayant un peu d’humour dans la façon de présenter l’actualité ; elle avait repéré mon sens de l’humour (hors antenne). J’ai donc troqué le lac de Neuchâtel pour celui du Léman. J’y suis resté deux ans. Extraordinaire. Pendant l’été je présentais les infos en direct le matin depuis les terrains de tous les plus grands festivals de Suisse et France, les derniers concerts s’achevaient quand je commençais à travailler, dans le même studio que les animateurs. Encore récemment, une personne dont je faisais connaissance a reconnu mon nom pour cela, sans se rappeler tous les reportages faits ensuite. Je ne sais si je dois être flatté ou vexé.

Après ces deux ans, j’ai démissionné pour aller apprendre le russe à Ekaterinbourg, à 2’000 km à l’Est de Moscou. Cela je l’avais planifié.

Et à votre retour en Suisse ?

De retour en Suisse, je n’ai rien trouvé à la radio. Mais à Londres, la RSR n’avait plus de correspondant indépendant attitré. Avec un taux de change à 2.5 CHF pour une livre anglaise, les candidatures étaient rares. Je suis donc parti à Londres. C’était le 9 septembre 2001. Je rentre des portes de la Sibérie, je m’installe, je me refais à la vie urbaine occidentale. Mais voilà que deux jours plus tard, ce sont les attentats contre le World Trade Center à New York. La coalition occidentale se met en place, la guerre en Afghanistan à laquelle participe la Grande-Bretagne, puis le débat sur la participation ou non à la guerre contre l’Irak, la lutte contre le terrorisme … la grande histoire est venue frapper à ma petite porte de la chambre que je louais à Londres. Couvrir cela fut passionnant.

Et la Russie ?

J’étais désireux de vivre dans un pays sous régime autoritaire ; je m’étais renseigné sur la Corée du Nord : il fallait s’inscrire dans une université chinoise et de là solliciter un échange avec une université nord-coréenne. Alors que j’avais entamé les démarches, le poste de correspondant à Moscou se libère … Je parlais la langue, j’y étais retourné faire des reportages (p. ex. la prise d’otages à Moscou au Théâtre de la Dubrovka en 2004). La décision s’est imposée d’elle-même. J’y suis resté deux ans en collaborant pour 24 Heures, la Radio Suisse Romande et la Tribune de Genève. Là aussi, ce furent des années denses et intenses, faites de reportages à travers toute la Russie et dans les Républiques ex-soviétiques.

Vous avez couvert la plupart des conflits de ce XXIe siècle conflits (Syrie, Libye, Ukraine, Côte d’Ivoire, Géorgie, Tchétchénie, etc. : qu’est-ce que c’est d’être reporter en milieu hostile ?

L’image telle que la guerre du Vietnam l’a tissée dans l’esprit des gens (whisky, piscine, …), ça, c’est terminé, si ça a une fois existé. Ma méthode il faut dire était plutôt de fuir les collègues et m’enfoncer le plus possible dans le tissu local.

Ce qui me passionne dans ces contextes, ce ne sont pas seulement les enjeux, mais c’est l’incroyable résilience des gens. Je ne l’ai compris que plus tard, avec le temps.

Mais il y a d’abord une recherche fondamentale de l’information. La première victime de la guerre, c’est la vérité (je ne sais plus qui le disait). Exemple quand je suis allé en Syrie. Les opposants sur les réseaux sociaux disaient une chose, le régime de Bachar al Assad en disait une autre. Seul moyen de savoir : y aller ! On peut avoir un présupposé de qui a tort et qui a raison, mais ce n’est pas suffisant pour un journaliste.

Ne pourrait-on pas travailler à distance ?

Plus concrètement, un reporter de guerre va sur le terrain. C’est indissociable du métier. Il faut se rendre là où le choses se passent et trouver les sources d’informations afin de faire votre métier de journaliste, une espèce d’historien du présent. Il faut sentir le terrain et savoir ce que les gens pensent et vivent. J’ai un principe « Boots on the ground ». Ça n’empêche pas l’analyse, mais elle doit aussi être documentée par une connaissance du terrain, travailler uniquement à distance , ça me paraît moins pertinent.

Mais il faut savoir repartir d’où l’on est allé. Le ressenti de ne pas vouloir lâcher les gens m’a parfois traversé. En Syrie notamment, à Hama. J’avais vécu deux semaines intenses avec des opposants au régime. Alors qu’il devenait très difficile de quitter la ville, l’armée et les services secrets la quadrillaient, j’hésitais encore, ils m’ont engueulé. Remis à ma place. « Ce n’est pas ton combat. Et si tu ne sors pas témoigner, à quoi cela aura servi d’être venu ? ». Deux nuits plus tard, je courrais d’un abri à un autre dans le no man’s land, évitant les coups d’œil des miradors syriens, sur la frontière qui séparait la Syrie de la Turquie.

Vous avez côtoyé la violence. Existe-t-il différentes formes de violence ?

Bien sûr. Il y a évidemment les violences physiques vues, parfois vécues. Avec des armes, ou sans : la torture. Il y a une forme de violence physique qui est devenue une arme de guerre, le viol.

Puis il y a toutes les formes de violence psychologique. Des peurs qui sont instillées, par la surveillance, par la menace, par des pressions.

Des formes de violences vécues par les populations selon le contexte dans lequel ils vivaient, et, malgré cela, ils montraient le plus souvent une incroyable résilience.

Et cette violence peut parfois être violente pour le journaliste qui en est témoin et parfois victime, il faut bien l’avouer. Personnellement ce sont davantage les atmosphères qui me marquent.

Par exemple ?

Deux exemples : le premier après la prise d’otages dans l’école de Beslan dans le Caucase russe en septembre 2004 au cours de laquelle 380 personnes sont mortes dont 186 enfants. J’y suis resté quelque temps après les événements. Un village qui suffoque, qui étouffe de tristesse, de rage, de colère, de chagrin, en vase clos. Un silence absolu qui plane, troublé par les cris d’une mère qui réalise la perte de son enfant. Avec une image finale. Lorsque j’ai enfin décidé de quitter les lieux, le cimetière est sur la route de l’aéroport. Un cimetière aujourd’hui appelé la « cité des anges », avec des dizaines de tombes fraîches, creusées, dont tant de la taille d’un enfant. Une image qui reste. J’en parle toujours avec beaucoup d’émotion.

Le second exemple : le face-à-face entre les deux présidents auto-proclamés en Côte d’Ivoire après l’élection présidentielle de décembre 2010. J’accompagnais dans son quotidien militant un jeune homme partisan de Gbagbo. Sympathique, il m’a présenté toute sa famille. Un jour, le chef de la jeunesse partisane de Gbagbo vient leur tenir un discours de haine contre l’adversaire, avec tout un vocabulaire qui rappelait le génocide rwandais. Ce jeune tourne du tout au tout, brandit sa machette avec une rage indescriptible, prêt à partir découper l’ennemi, son voisin partisan de l’autre président, Ouattara. Comment un humain pareil à moi peut-il virer ainsi ? Quel ressort me ferait agir de la même manière ? Prêt à une telle violence ? Ça interpelle !

Et pour vous ressourcer ? Comment faites-vous pour évacuer ?

On évacue chacun à sa façon. Moi, déjà dans l’avion. Je prends du recul en m’éloignant. Mais on garde toujours quelque chose collé à ses semelles … et je pense que je m’en rends davantage compte aujourd’hui que pendant les périodes durant lesquelles se succédaient ce genre de reportages.

Le numérique s’immisce partout. Sentez-vous son arrivée ? Tout le monde a un téléphone portable avec un micro, une caméra. Cela change-t-il votre métier ?

Oui bien sûr, tout le monde peut publier, diffuser, mais le journalisme ne se résume pas à la technologie. Le moyen ne fait pas le métier. Le numérique arrive comme la télé est arrivée, comme la radio est arrivée. C’est le support pour transmettre l’information qui évolue. Alors oui, la forme et le rythme changent aussi, mais le métier ne change pas. Un journaliste va chercher l’information, la vérifie, la contextualise, puis il y a publication, sous une forme ou sous une autre, sur un support ou sur un autre. Je n’ai d’ailleurs jamais été un chaud partisan de l’expression et du concept de « journaliste citoyen ».

Pourrait-on parler de « témoignages » ?

Témoin, oui, mais ensuite il faut vérifier et traiter l’information pour qu’elle soit compréhensible. Je pense que tout le débat actuel sur la désinformation et les fausses nouvelles renforcent cette position. Une information diffusée sous la bannière, par exemple, de la RTS appose un sceau, celui du professionnalisme. Dans un monde où l’information est surabondante, diffusée en temps réel et continu, la marque de l’émetteur doit garantir que l’information est vraie et validée. En ce sens, le journaliste doit demeurer un pilier de l’information juste. Et ces médias qui ont acquis une réputation ne doivent pas la griller en exécutant une mauvaise transition sur les nouveaux médias (qui ne sont d’ailleurs plus si nouveaux que cela d’ailleurs).

Le métier de journaliste est critiqué, il est mis à mal par de nouveaux outils. Va-t-il disparaître ?

Non, au contraire ! Ce flot d’informations nous rend encore plus nécessaire. Il faut des « inter »-médiaires (des médias au sens propre) pour faire le tri, pour vérifier, pour valider. Il faut aller sur place pour comprendre et vérifier. Et puis le tweet est comparable au livre : un émetteur et un récepteur, un message et un support. Maintenant, il faut admettre que la quantité accrue d’informations et l’accélération du rythme de diffusion peut noyer une information importante. L’information – qui est devenue plus accessible – fait l’objet d’une plus grande attention, car les velléités et les possibilités de la manipuler sont plus fortes.

Que diriez-vous à un(e) futur(e) journaliste en terrain hostile ?

C’est un beau métier, mais il est devenu difficile de le pratiquer et d’en vivre. Les méthodes de travail ont dû évoluer face aux risques, car les journalistes sont devenus des cibles (rançons, menaces, attaques). A tel point que les agences de presse ou des médias sont devenus réticents à envoyer des journalistes sur le terrain face à de tels risques. Les places de reporters sont rares. La meilleure chance d’aller sur le terrain est d’y aller comme journaliste indépendant. Mais c’est économiquement difficile.

L’attitude des belligérants face aux journalistes a changé, les formes de conflits ont changé ; les conflits sont devenus davantage asymétriques et mouvants, avec des groupes armés multiples et des alliances changeantes. La multiplication des acteurs armés multiplie aussi les risques.

Le monde, serait-il devenu plus complexe ou différent ?

Différent ? Non. L’humain est resté humain, avec les mêmes pathologies pathétiques.

Plus complexe ? Pas jusqu’à récemment. Mais avec la désinformation industrialisée grâce à internet et aux réseaux sociaux je pense que oui, il y a une complexification. Lorsque je discutais avec un diplomate russe, déjà actif sous l’ère soviétique, il me racontait qu’américains et soviétiques, même s’ils étaient opposés idéologiquement, étaient pour le moins d’accord sur les faits (malgré la propagande interne soviétique). Et pouvaient donc discuter. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas constatait-il. Du coup, oui, ça rend les choses plus complexes à résoudre.

Avec le recul, si c’était à refaire, le referiez-vous ?

Le journalisme ? Oui mais différemment, par la force des choses. Je ne suis plus le même, comme tout le monde, j’ai acquis de l’expérience. Je gérerais autrement les impacts que l’on ressent après un reportage en zone de conflits. J’y retournerais volontiers mais je soignerais plus le retour. C’est aussi la raison pour laquelle je donne des formations à des journalistes qui doivent aller en terrain hostile : sécurité, gestion du stress, etc. Je travaille également comme consultant international en communication et information en matière de sécurité humaine pour des gouvernements et diverses organisations.

A votre avis, le monde est-il plus violent aujourd’hui qu’hier ?

Non, je ne le crois pas. Nous sommes plus rapidement informés, de manière continue de surcroît. Cela donne une impression d’une recrudescence de la violence. Si l’on regarde sur une échelle de 1’500 ans, l’âge de l’Abbaye de Saint-Maurice, ces changements que nous connaissons aujourd’hui ne sont pas nouveaux ; d’autres époques sont aussi passées par là.

Pour en savoir plus:

Gaëtan Vannay donne des conférences via Swiss Speakers Bureau.

Si vous souhaitez entrer en contact avec lui: son profil LinkedIn ou sa société Securaxis.

Entretien: Alexander Elmér

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Comments (1)

  • HEINZMANN Hildebert, Les Briesses 555, 3963 Crans-Montana

    Bonjour et bravo pour cet excellent interview de Gaëtan Vannay et pour votre démarche original.

    Je profite de l’occasion pour faire une suggestion aux organisateurs des journées annuelles des anciens du Collège de St-Maurice. Au terme des exposés des conférenciers, il conviendrait de donner au maximum des participants la possiblité de poser des questions. Cela impliquerait des questions précises et courtes, sans des longues commentaires de la part des intervenants et sans polémique – comme cela a été le cas par ex. de la part de M. Slovodan Despot lors de la rencontre de novembre dernier -, autrement dit une gestion rigoureuse des débats de la part de l’animateur.

    Merci de votre attention et bien cordialement vôtre. Hildebert HEINZMANN (1953-1959)

    26 mai 2018 à 8 h 23 min

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